Hommage aux Gémeaux, ou la réhabilitation du signe à deux têtes

PAR VÉRONIQUE CHAGNON

Les algorithmes de mes réseaux sociaux ont compris mon intérêt pour l’astrologie et ont décidé d’en faire ma priorité absolue. Ce qui fait en sorte que je suis inondée de vidéos plus ou moins pertinents, comme ceux qui mettent en scène les différents signes astrologiques dans des situations plus ou moins comiques censées résumer leur personnalité. Ou comme celui, aperçu récemment, dans lequel une jeune femme demande aux gens dans un bar quel signe ils détestent le plus, et où la majorité répond: les Gémeaux.

Ce signe d’air dont la saison commence le 20 mai et nous mène jusqu’au solstice de juin a mauvaise réputation. On le dit souvent peu fiable, ou alors visage à deux faces, ou alors incapable de se brancher, ou alors trop en surface. Tout ça n’est pas nécessairement faux, et ces travers font bel et bien partie de l’ombre des Gémeaux (je parle du signe, pas des gens, qui sont beaucoup plus complexes qu’un seul signe astrologique). Tout le courant de la «post-vérité» et des «faits alternatifs» propulsé à la puissance maximale depuis l’arrivée de Donald Trump sur la scène politique est par exemple très Gémeaux—c’est d’ailleurs le signe solaire du président, qui a une signature très marquée (et, sans entrer dans les détails, très instable) dans ce secteur de sa carte du ciel.

Dans les faits, souvent, les Gémeaux sont capables de s’intéresser réellement à toutes les versions d’une histoire (c’est un archétype associé au journalisme). Ce signe favorise la friction entre les humain·es, entre leurs valeurs et leurs croyances; à son meilleur (et il va sans dire que «son meilleur» n’est pas la version de Donald Trump) le Gémeaux est l’archétype qui nous permet de nous côtoyer sans nous entretuer. Il est un antidote au dogmatisme. 

Selon le petit vidéo insignifiant (que j’ai décidé de monter en épingle parce qu’il me sert bien pour ce texte), le deuxième signe le plus mal-aimé, bon deuxième derrière les Gémeaux, est la Balance. À celle-ci, on reproche souvent sa tendance à vouloir plaire à tout le monde et à privilégier l’harmonie au détriment de la vérité; à être people pleaser. Le signe de la Balance s’en prend plein la gueule dans les dernières années. Je pense que c’est en partie parce que la montée—salutaire et nécessaire—du féminisme fait en sorte qu’on remet en question une certaine tendance à ne pas vouloir faire de vagues encouragée auprès des femmes et qui a historiquement joué contre elles. C’est en effet ce qui peut se produire quand la Balance est en déséquilibre: un rétrécissement de soi qui profite au statu quo plutôt qu’à une version toujours plus juste de l’égalité. 


À son meilleur, pourtant, le signe de la Balance nous parle d’équité, de justice et d’harmonie.

Il est intéressant, il me semble, de noter que la réputation de ces deux signes, qui sont capables de faire cohabiter contradictions et polarités, souffre en particulier à notre époque très friande des camps et des clans. 


À ce sujet, je me méfie d’ailleurs de l’arrivée de Jupiter en Cancer, en juin—tous·tes les astrologues que je respecte y voient une bonne nouvelle, comme un petit cocon de ouate et de soin à l’horizon, mais, dans le contexte géopolitique actuel, ce transit m’inquiète davantage qu’il ne me rassure. Il n’y a qu’à regarder la série Yellowstone et le personnage de Kevin Costner en propriétaire de ranch et chef de famille plutôt mafieux pour avoir une belle démonstration de ce que ça fait quand l’énergie parfois clanique et nostalgique (très à propos pour le mouvement MAGA) du Cancer est exaltée — et c’est ce que signale l’arrivée de Jupiter en Cancer: une exaltation, une amplification. Mais je suis sûrement dans le champ puisque jusqu’ici tout le monde semble dire que c’est une bonne nouvelle. Et de toute façon j’essaie, visiblement sans toujours réussir, de ne pas me causer encore plus d’anxiété avec l’astrologie. Mais je m’égare. 

Ce que je veux vraiment faire ici avec ce texte qui part dans tous les sens (en soi, un hommage aux Gémeaux), c’est entreprendre pour de bon une campagne de réhabilitation des signes à deux têtes, ou à deux pôles, que sont les Gémeaux et la Balance. 

En astrologie, on estime que les signes du même élément (feu, terre, eau, et, dans le cas qui nous occupe, air) collaborent pour faciliter leur expression mutuelle et, de manière plus spirituelle, pour faire émerger la meilleure version de ce qu’ils ont chacun à apporter au monde. Dans le cas qui nous occupe, les Gémeaux et la Balance sont des ami·es naturels: ils font partie, avec le Verseau, de la même trilogie aérienne. 

Là où les Gémeaux attisent notre curiosité, nous sortent de notre nombril et nous intéressent à ce qui se passe autour, nous font emmagasiner et échanger un flot continu d’informations, la Balance nous demande quant à elle d’entreprendre un processus de discrimination en ayant un parti pris pour la Justice avec un grand J; elle requiert qu’on soupèse les faits et les versions et qu’on trouve, face à l’Autre, un point d’équilibre; elle cherche, dans la partie centrale du diagramme de Venn, ce qui nous unit. Entre finalement en scène le Verseau qui, devant cet équilibre précaire modifié à chaque tour de Grande Roue, provoque des révolutions plus ou moins grandes et plus ou moins sanglantes visant à complexifier notre conception de la liberté et notre définition de la vie en collectivité. Puis retour au Gémeaux pour intégrer ces nouvelles définitions dans nos schémas mentaux, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps.

Autrement dit: la plasticité mentale caractéristique des Gémeaux et la justice et l’harmonie si chères à la Balance sont des conditions préalables à notre liberté commune, celle au cœur de l’archétype du Verseau—tous ces concepts travaillent ensemble et se soutiennent mutuellement. Ça ne veut surtout pas dire que toutes les idées se valent et qu’il faut maintenir une harmonie de façade à tout prix, mais ça veut dire que sans ces ingrédients fondamentaux, nous sommes condamné·es à vivre confiné·es dans des boîtes (personnelles et sociales) qui deviendront inévitablement, un jour ou l’autre, trop petites pour nous. Et plus on se sera emmuré·es dedans, plus les révolutions risquent d’être violentes.

Quant à moi, j’ai décidé de pondre ce texte définitivement beaucoup plus astrologique que tout ce que j’écris d’habitude parce que je trouve que l’astrologie encourage ma plasticité mentale, et que donc elle soutiendra peut-être la vôtre, et parce que j’ai une carte du ciel relativement pleine de Balance et que j’en ai marre d’être incomprise par des petits vidéos niaiseux. Ma solidarité avec les Gémeaux, en plus d’être Gemini pleaser, est donc totalement intéressée et de façade.

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Sur les pentes de l’impuissance